TEXTES

Texte de Caroline, participante de l’atelier en ligne, inspiré par le mot INDICIBLE.

Entre deux rendez-vous

Si l’on écrit c’est parfois, peut-être,  dans l’espoir de saisir, du bout des mots, les sensations abstraites et fuyantes qui sont au cœur de nos existences. 

Depuis quelques mois, l’écriture refait surface dans ma vie. Il y a un rendez-vous concret, toutes les deux semaines, pour partager des textes. Et entre deux rendez-vous, il y a l’écriture dans ma tête, qui m’habite et me porte, ces phrases qui surgissent, quand je m’habille, quand je conduis, quand je me lave les dents, que je me couche ou au détour d’une conversation. Je regarde alors le monde à travers le prisme de l’écriture, ce qui me permet de l’observer avec plus d’acuité, de poser sur le présent un œil affuté, mais aussi d’explorer le passé et de tenter de saisir les souvenirs dans la matière verbale.

Avec délice, je m’exerce, modestement, laborieusement, à caresser l’indicible : le goût intense de la nostalgie, la fragilité de l’espoir, la peur, la douleur, l’attachement, dire les êtres, embrasser avec courage les ombres et les lumières qui m’entourent et m’habitent.

Au moment fatidique de coucher sur le papier les mots, de matérialiser enfin les phrases étirées, répétées, triturées dans ma tête, c’est toujours la surprise.  Comme si l’inconscient travaillait en secret, en sourdine, là derrière, et que ce qui concrètement s’anime et prend forme vient me dévoiler avec délicatesse un pan de ce qui semble insaisissable.

Ecrire c’est aussi tenter de rendre palpable l’indicible.

« Les bouches closes » est un texte écrit par Juliette, 14 ans, à partir d’une photo : le portrait d’une femme âgée.

Les bouches closes

Dans la voiture qui nous mène à l’enterrement, Maman pleure. Je devrais être triste aussi, c’est ce que toute la famille attend. Mais mes yeux restent secs. Car, un mois avant sa mort, Mamy m’a pris à part et s’est lancée dans un long monologue que je me repasse à présent en boucle en regardant le bitume.

« Pierre, j’ai besoin de ton aide : durant toute ma vie, je fus un meuble. Ne fais pas cette tête et écoute.

À dix-huit ans, ma famille riche m’a mariée à un homme riche et tellement bête qu’il croyait dur comme du fer à son intelligence. Jamais je ne fus frappée mais son indifférence à mon égard me glaçait le sang tous les jours. J’étais majeure, ma vie commençait, je savais qu’elle était finie.

Pendant quatre-vingt ans, je me suis regardée vivre. Le matin, je souriais à mon mari en l’écoutant raconter ses rêves, la bouche close. Le soir, je l’écoutais raconter sa journée, la bouche close. Entre les deux, je lisais. Tout. Les livres, les journaux, les poèmes, les instructions de montage d’un avion, tout. Et j’en comprenais à peine la moitié. Cela était ma vie : les personnages me faisaient vivre par procuration, les mots scientifiques me donnaient un sentiment de supériorité intellectuelle. Je me sentais prête à changer le monde, la tête pleine de révoltes.

Mais, bouche close, j’écoutais mon mari cracher ses certitudes avec assurance, et je hochais la tête. Pourquoi ? Je ne voulais pas sembler folle. Le monde pour moi se résumait à ma mère, qui parfois venait prendre le thé, la caissière du magasin et le présentateur télé.

Puis, tu es né et j’ai eu un ami. Tu ne te nourrissais pas de savoir comme moi, tu en prenais de petites quantités et tu l’analysais, le comparais avec ton expérience de la vie. C’était passionnant à regarder. Peut-être vivais-je un peu à travers toi.

En résumé, ma vie fut inutile et monotone. Mes pensées, brillantes je crois, ne sortaient jamais de ma tête. Car ma bouche était close. L’ennui, c’est que j’ai encore un peu de fierté. C’est embêtant car, quand je mourrai —arrête de faire cette tête enfin !— cette bouche sera close à jamais. Personne ne saura ce que j’ai pensé durant toutes ces années, ils me croiront banale, insignifiante, pareille à eux.

Alors voilà ce que nous allons faire ; après ma mort, tu me feras le plaisir de lire le texte que voici devant tout le monde. Ainsi ils verront ce que je pensais vraiment ! C’est tout ce qu’il me reste. »

Mamy a toujours été complètement marteau. J’avais lu ce texte : un tissu d’imbécilités. Elle avait voulu écrire des vers et le résultat était pitoyable. Je l’ai jeté le soir même. En plus, son discours me mettait mal à l’aise. Cette vieille radoteuse qui croyait avoir tout compris! Et je n’étais pas son ami, en plus. J’étais son petit-fils, on ne choisit pas sa famille. Elle n’a rien fait de son existence, tans pis pour cette pleurnicharde ennuyante. Aucune envie de passer pour un imbécile devant tout le monde en lisant les regrets de la morte.

« Le thème » est un texte que nous avons adoré lors de sa lecture par Carole – qui annonçait en préambule qu’elle était navrée de son manque d’inspiration pour le thème proposé. En fait, elle a merveilleusement raconté le déroulement d’un atelier!

Le thème

La table est grande et la lumière blafarde. Je les vois tous autour de moi, il me suffit de jeter un œil discret.

Trois écrivent déjà, le cahier est ouvert devant elles, le stylo court sur le papier. Il ne leur a pas fallu longtemps pour trouver leur sujet. Elles sont concentrées, inclinées sur le texte qui commence à se dérouler.

Deux d’entre nous hésitent, les yeux regardent un point indéfini devant eux. A ma gauche, soudain, Sophie s’est penchée sur son cahier ligné et son écriture généreuse commence à couvrir la page. Jean-Maurice est toujours indécis. Le voilà qui se lance, mais son récit ne doit pas être simple à écrire car il fait de longues pauses pour y réfléchir.

Le thème du jour est l’incertitude. De quoi vais-je parler ? Comment ? Et si je trouve un point de départ, est-ce que je saurai raconter une histoire ? Tous avancent dans leur récit, avec quelques pauses néanmoins, le sujet n’est pas facile. Et moi, de quoi suis-je en train de parler ? De mon incapacité à trouver un sujet ? Mais qu’est-ce que je fais ici ?

Il y avait un rayon de soleil dehors juste avant d’entrer chez Balthasar. Il avait plu toute la journée, j’aurais dû aller m’aérer, marcher, mais j’apprécie ces cours d’écriture qui me permettent de laisser vagabonder mon esprit. J’écris, j’aligne sur le papier les vingt-six lettres de l’alphabet dans tous les sens et cela forme des mots et des phrases. Mais quel sens donner à tout cela ?

Je soupire, ce texte est totalement incohérent.

Martine nous a conseillé de trouver une chute et un titre pour que ces gribouillis sur le cahier deviennent une histoire. Je regarde autour de moi, ils ont tous l’air d’y être arrivé. Les épaules sont détendues, il y a encore un peu d’hésitation chez l’un ou l’autre, une ou deux corrections pour la touche finale, mais tous ont ficelé un texte.

Bon, finalement, c’est décidé, je vais m’y mettre aussi.

Carole

Lettre aux participant.es des ateliers

Atelier en plein air au parc Denantou

La saison 2018-2019 se termine fin juin par un pic-nique/écriture réunissant les belles plumes de 13 ans à 60+ qui, depuis plus d’une année, se côtoient et s’enrichissent mutuellement lors des ateliers. Bravo et merci de venir ainsi célébrer les mots, l’intériorité, le partage et l’écriture manuelle. J’ai un plaisir fou à découvrir vos textes, vos univers, vos singularités. Je suis touchée par votre engagement, votre façon de dire oui aux propositions les plus incongrues et par tout ce qui en jaillit /zut, jailli ou jaillit? On s’en fout, on continue…   Je suis souvent émerveillée par vos récits et toujours comblée par la bienveillance qui accompagne nos rencontres. Vous me permettez aussi de continuer à traquer le sujet, la proposition, l’angle, le ressenti, le bon mot, la chute et je vous en suis reconnaissante. La régularité de cet exercice nous permet d’entraîner nos plumes mais aussi de nous sentir vivant.es, alertes, en lien avec nous-mêmes et avec les autres. Cela nous permet surtout d’écrire des histoires courtes qui ont une fin car quand il s’agit de conclusion, le stress a du bon!

Martine

VERS LE PROGRAMME DES ATELIERS